Les décisions absurdes

Les décisions absurdes

Les décisions absurdes

Synthèse et commentaires de lecture (Management et entrepreuneuriat)

Lire ou relire le livre de Christian Morel « les décisions absurdes » est toujours source d’inspiration. Après avoir fait carrière dans les RH, Christian Morel est devenu un chercheur qui a notamment travaillé sur les thématiques liées à la sociologie et notamment sur les grandes erreurs collectives et la négociation sociale. Ses travaux donneront lieu à plusieurs ouvrages dont « les décisions absurdes » en 2002.

Celui-ci définit la décision absurde d’un individu ou d’un groupe comme une décision radicalement opposée à l’objectif poursuivi

Obtenir un résultat qui n’est pas conforme au but recherché n’est pas exceptionnel, bien au contraire. Il est donc utile de situer les décisions absurdes par rapport aux innombrables résultats imparfaits de l’action humaine.

Christian Morel distingue 4 types de résultats non conformes :

  • L’accident (destruction d’un système technique avec pertes humaines ou non)
  • Le résultat faux
  • La solution médiocre (le résultat est insuffisant)
  • La solution contraire à l’objectif

Ces résultats non conformes peuvent découler de 4 processus :

  • La décision médiocre
  • Les décisions prises alors que des éléments sont inconnus du décideur (exemple des papes qui, ne connaissant pas les mécanismes de contagion, ordonnaient des processions pour lutter contre les épidémies de peste)
  • Les effets de composition ou une combinaison de décisions provoquent des conséquences non voulues
  • La décision absurde

Une décision n’est évidemment absurde qu’en fonction de la rationalité qui a servi à prendre la décision, ce qui permet de définir les notions de rationalité « de référence » et de rationalité « étrangère ».

Si le but est incertain on ne peut dire si l’action lui est contraire et donc on ne peut dire expressément qu’il s’agit d’une décision absurde.

Il faut également qu’il y ait « persévérance », c’est-à-dire que l’action contre le but ait été persistante. Morel décrit le cas de pilotes qui persévèrent pendant une bonne heure à ne pas accorder d’importance au niveau de carburant.

L’auteur s’interroge alors sur les mécanismes de la pensée qui conduisent aux décisions absurdes. Il relève qu’ils sont assez diffus mais identifie une constante qu’il nomme « bricolage cognitif rudimentaire ».

Ce bricolage peut avoir plusieurs origines :

  • La logique intuitive
    L’ouvrage mentionne l’exemple de l’avion dont les pilotes stoppent le réacteur fonctionnel plutôt que le réacteur défaillant, les pilotes ont utilisé une série de raccourcis mentaux. Ils ont fait preuve de calme et de maîtrise de soi. L’origine du mauvais choix est donc bien plus cognitive (raisonnement) que psychologique (effet de stress).
  • L’accord tacite et ses ratés
    Thomas Schelling, dans The Stategy of conflict, montre que des individus peuvent se mettre implicitement d’accord sur une solution sans communiquer comme dans l’exemple de ces amis sans téléphone mobile qui se perdent dans un magasin mais se retrouvent à l’entrée principale. En fait, nous cherchons souvent une solution collective en essayant de trouver celle à laquelle l’autre va penser et qu’il acceptera. Ex : le croisement des navires en mer a institué la règle du passage par bâbord, priorité à tribord. Mais cette méthode peut conduire à la catastrophe si l’on se trompe sur l’intention de l’autre : L’issue absurde vient alors de la volonté de bien faire.
  • La difficulté de raisonner sur deux priorités simultanées ou sur deux étapes successives
    Il est difficile pour l’esprit humain de gérer 2 priorités en même temps. Il en est ainsi dans le cas décrit ou l’équipage d’un avion a concentré son attention sur le train d’atterrissage et oublié le problème du carburant. Que le train soit bien verrouillé ou pas, l’avion doit atterrir sur la piste. Les pilotes voulaient savoir si le train était verrouillé alors que la valeur ajoutée de cette information est faible par rapport à la situation.
  • L’erreur
    Celle-ci peut être d’attention, de transgression (une règle ou une procédure n’est pas respectée), de connaissance (lacune technique) ou de représentation (l’évènement n’est pas compris comme il devrait).

Ce qui est frappant, c’est le caractère systématiquement négatif de chaque décision décrite comme si aucune décision absurde ne pouvait produire quelque chose de positif et c’est ce que nous allons désormais chercher.

La Seredenpidité.. Des décisions absurdes se cacheraient elles derrière des hasards heureux ?

La page Wikipédia qui traite des innovations dues au hasard (les chercheurs parlent de Sérendipité) dresse une liste des motifs de ces découvertes :

  • par accident
  • par un concours de circonstances
  • par erreur
  • par hasard pur
  • par inadvertance
  • par maladresse
  • par mégarde
  • par négligence professionnelle

Source Wikipedia.

On ne peut s’empêcher de faire un parallèle entre cette liste et celle de Morel qui est reproduite au début de ce document.

La décision absurde pourrait donc bien être un filon et certaines entreprises semblent passées maitre dans l’exploitation de celui-ci.

Parmi celles -ci, il est une société que je connais bien pour y avoir travaillé durant près de 10 ans qui semble avoir été experte dans le recyclage de l’erreur absurde.

3M et le storytelling de l’erreur ou « comment valoriser l’absurdité et la cultiver »

La capacité créative et la performance financière du groupe 3M sont reconnues Voici une société qui fait partie du Dow Jones aux coté de Microsoft, Général Electric, Boeing ou Mac Donald mais son histoire est pavée de lancements de produits dont la découverte n’était pas recherchée : L’histoire démarre par une exploitation minière qui restera déficitaire pendant 6 ans avant que l’entreprise décide d’en faire du papier abrasif, la marque « scotch » viendra d’un sobriquet donné par les ouvriers de l’automobile à un produit qu’ils jugeaient en sous qualité. Le procédé antitache ScotchGuard sera le fait d’un laborantin ayant renversé des fioles sur ses sneakers, les notes postit disent merci à l’inventeur de la colle qui ne collait pas bien etc …

Pendant longtemps l’entreprise a implicitement fait un lien entre ces découvertes fortuites et l’autonomie laissée aux collaborateurs et en avait fait un pilier du marketing RH.

En effet, l’entreprise s’enorgueillissant de laisser aux chercheur l’entière liberté d’affecter 25% de leur temps de travail a des recherches non sollicitées par l’entreprise.

Si l’autonomie est sans doute une clef, la question qui se pose est de savoir comment l’encadrer pour mettre l’erreur hors de risque ?

Les spécialistes de l’entrepreneuriat pourraient nous proposer une solution. Ceux-ci mettent souvent en avant une approche qui apporte des résultats très fructueux : « L’effectuation».*

La démarche effectuale repose sur le respect de plusieurs principes dont l’un, la « perte acceptable » c’est-à-dire être prêt à perdre quelque chose de défini (et limité) pour gagner éventuellement quelque chose de sans limite.

Faire entrer dans les pratiques ce principe de perte acceptable de sorte à tirer parti des « bonnes » décisions absurdes et limiter la portée des décisions absurdes négatives est un axe qu’il conviendrait de valider.

*La technique de l’effectuation met l’emphase sur l’action et prend donc le contrepied de la méthode classique (Définir la stratégie puis de mettre en place un plan d’action). Pour faire simple la méthode classique (ou causale) consiste à a) Déterminer ce que l’on va manger b) faire la liste des ingrédients à rassembler et c) appliquer la recette Tandis que la méthode effectuale consiste à regarder ce qu’on a dans le frigo et…faire avec.

 

Laurent Paitschin
Enseignant à SUP de V